Note IPP n°115

Comment expliquer la sous-représentation des femmes dans les écoles d’ingénieurs les plus sélectives ?

Présentation

Bien que les femmes soient majoritaires dans l’enseignement supérieur en France, elles restent fortement sous-représentées dans les grandes écoles d’ingénieurs, notamment les plus sélectives. Ces écoles recrutent sur concours, censés garantir une sélection objective fondée sur les performances académiques. Leur préparation exige deux à trois années en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), réputées pour leur intensité. La faible proportion de femmes admises dans les écoles les plus sélectives pourrait s’expliquer par deux types de facteurs : des écarts de performance (avant ou pendant la CPGE, ou au moment du concours), ou des différences de préférences quant aux concours présentés ou au choix d’affectation. Nos analyses permettent d’écarter à la fois le rôle des préférences et celui des performances avant l’entrée en CPGE comme causes principales, car ces facteurs jouent en réalité en faveur des femmes. Le coeur de l’explication réside dans une inversion progressive de l’écart de performance entre les femmes et les hommes au cours des années de classe préparatoire, notamment dans les filières les plus sélectives et compétitives, les classes « étoile ». Ce décrochage se double d’un léger désavantage des femmes le jour du concours, qui contribue également – bien que dans une moindre mesure – à leur sous-représentation dans les écoles d’ingénieurs les plus sélectives.

Résultats clés

  • Cette note s’appuie sur une base de données inédite, construite à partir d’un appariement entre les données administratives exhaustives du Service de concours écoles d’ingénieurs, des données administratives du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, ainsi que de données collectées auprès de 18 classes préparatoires scientifiques en France métropolitaine couvrant la période 2015-2023.
  • Lors de l’entrée en CPGE scientifique, les femmes ont en moyenne de meilleurs résultats scolaires que leurs homologues masculins. Pourtant, à l’issue de ces deux à trois années de classe préparatoire, elles accèdent moins souvent aux grandes écoles d’ingénieurs les plus sélectives. Elles y représentent seulement 20% des effectifs, contre 25% dans les CPGE scientifiques.
  • Cette sous-représentation s’explique en partie par une moindre performance le jour du concours, mais surtout par un renversement de l’écart de performance entre les sexes : initialement en faveur des femmes, celui-ci devient favorable aux hommes au cours de la première année de CPGE, et s’amplifie jusqu’aux concours.
  • Nos analyses montrent que cet écart s’accroît particulièrement dans les environnements les plus compétitifs, notamment dans les classes préparatoires dites « étoile », qui renforcent la dynamique de décrochage relatif des femmes.

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Méthode et données

Cette étude mobilise quatre sources principales de données :
Données administratives du processus centralisé d’admission aux grandes écoles d’ingénieurs : Les autrices exploitent, pour la première fois à des fins de recherche, les données administratives du Service de concours écoles d’ingénieurs (SCEI) pour la période 2015-2023. Ces données incluent les informations démographiques sur les candidats (âge, genre, origine sociale, origine géographique, statut de boursier, statut de handicap), des informations sur leur situation académique (lycée de leur classe préparatoire, filière, classe « étoile » ou « non étoile », nombre de tentatives aux concours), ainsi que des données détaillées sur le processus d’admission : concours présentés, résultats, classement des écoles par ordre de préférence, et les propositions d’admission à chaque tour. Les autrices se concentrent sur les CPGE scientifiques présentes sur toute la période et comptant au moins 10 étudiants inscrits par an.

Données administratives du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (2010-2020) : Les données du SCEI ont été appariées à celles de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (MENJ-DEPP), à l’aide d’un identifiant unique chiffré. Cela nous permet d’observer les performances scolaires antérieures des candidats, notamment leurs notes et moyennes par matière au baccalauréat et au diplôme national du brevet (DNB).

Données collectées dans 18 classes préparatoires scientifiques : Entre février 2022 et avril 2023, nous avons recueilli des données dans 18 CPGE scientifiques (MP/MP*, PC/PC*, PSI/PSI*, PT/PT*) qui ont accepté de participer à notre étude. Ces données portent sur les caractéristiques démographiques (genre, date de naissance) et académiques (filière, classe, notes par matière) de leurs étudiants. Ces données nous permettent de disposer d’informations détaillées sur les notes des élèves pendant la classe préparatoire pour environ 17% de notre échantillon d’étude. La figure 2 présente la répartition géographique de ces CPGE.

Échantillons d’analyse : Les autrices utilisent plusieurs sous-échantillons dans nos analyses : (i) l’échantillon complet des candidats (N = 165 450) ; (ii) un échantillon restreint, limité aux CPGE et filières offrant à la fois une classe étoile et une classe non étoile en deuxième année (N = 89 079) ; et (iii) un échantillon d’enquête, fondé sur les données collectées auprès des 18 CPGE sus-mentionnées, appariées de façon statistique aux données administratives relatives à leurs étudiants (N = 16 789). Ce dernier inclut également l’échantillon utilisé pour l’analyse par régression sur discontinuité des effets de l’admission en classe « étoile » (N = 6 630).

Autrices

Cécile Bonneau est post-doctorante à l’Université d’Aalto — Helsinki Graduate School of Economics.
Léa Dousset est doctorante à l’École d’économie de Paris.

Remerciements

Nous remercions le Service des concours des écoles d’ingénieurs pour l’accès et la mise à disposition de leurs données, ainsi que les équipes de la DEPP et du SIES pour leur soutien précieux tout au long de ce projet. Ce travail a reçu l’approbation du Délégué à la protection des données du
CNRS (référence : 2-22076V2).

Soutien

Cette note a bénéficié du soutien du CEPREMAP et de la Chaire Politiques éducatives et mobilité sociale. Créée en 2021 dans le cadre d’un partenariat entre la Fondation Ardian, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (MENJ-DEPP) et PSE-École d’économie de Paris, cette chaire vise à promouvoir la recherche de haut niveau et la diffusion des connaissances

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