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Le système français de retraite fait dépendre l’âge de départ de la durée de carrière : est-ce justifié ? Note IPP n°111. Patrick Aubert. Novembre 2024
Présentation
En France, le moment auquel un assuré peut partir à la retraite avec le taux plein dépend de la durée de sa carrière davantage que de son âge, et certains arguent même qu’il devrait en dépendre exclusivement. Cette situation découle du cadre réglementaire mis en place lors de la réforme des retraites de 1983, dont les principes généraux sont restés en place malgré les diverses réformes ayant eu lieu depuis. Le critère de durée comme condition d’obtention du taux plein est ainsi, dans l’imaginaire, souvent associé au fait « d’avoir permis la retraite à 60 ans ».
Si cette condition a souvent été justifiée en invoquant la moindre espérance de vie supposée de ceux à qui elle bénéficie, de nouvelles estimations montrent que ce n’est en réalité pas le cas. Les personnes à qui le système de retraite permet de partir au taux plein plus tôt n’ont pas une mortalité plus élevée. Celles qui, à l’inverse, doivent attendre l’âge d’annulation de la décote n’ont, réciproquement, pas une meilleure espérance de vie. Historiquement, les catégories de retraités qui ont le plus bénéficié de la retraite au taux plein à 60 ans se situent, quelle que soit la génération, parmi la moitié des retraités dont la pension est la plus élevée.
Ces constats interrogent sur le bien-fondé de différences de traitement qui sont aujourd’hui au coeur du système de retraite français. Ils suggèrent que, à moins de trouver une autre justification aux règles actuelles, il pourrait être pertinent de revenir à des modalités plus proches de la philosophie originelle du système, à savoir une prise en compte non seulement de la durée de carrière mais aussi de la durée espérée de retraite dans les règles de départ.
Résultats clés
- Faire dépendre du nombre de trimestres validés l’âge de la retraite au taux plein introduit une différence de traitement entre assurés qui, vu les espérances de vie constatées, ne peut pas se justifier par un objectif de compensation des inégalités sociales de durée de vie.
- Conserver les règles actuelles imposerait donc, au nom de la nécessaire transparence du système, d’expliciter sur quel principe d’équité cette différence de traitement est fondée. Il n’apparaît toutefois pas de justification évidente pour cela. Alternativement, le système devrait donc être réformé pour se rapprocher des principes actuariels.
- Cela ne signifie pas forcément, pour autant, revenir aux règles qui étaient en vigueur avant 1983. Il est possible à l’inverse, si on le souhaite, de mettre en oeuvre ces principes dans un système qui supprimerait toute décote et surcote, et ne dépendrait que de la durée.
- Il faudrait pour cela moduler la durée légale d’une carrière complète en fonction de l’âge au moment du départ à la retraite, de façon à tenir compte du fait que, si un assuré part plus tard et bénéficie par conséquent d’une durée de retraite plus courte, la durée qui lui est demandée pour considérer sa carrière comme « complète » devrait elle aussi être plus courte.
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Article de référence
Aubert Patrick, « Permettre aux personnes qui vivent moins longtemps de partir plus tôt à la retraite
: quel bilan des réformes depuis les années 1970? », à paraître dans la revue Économie et statistique / Economics and Statistics.
Partenaire
Ce travail a bénéficié du soutien de la Drees. Il a notamment fait l’objet d’une publication dédiée : « Trente ans de réformes abaissant l’âge de départ à la retraite à taux plein : quelles conséquences sur les inégalités de durée de retraite ? », Dossier de la DREES, n°125, novembre 2024.
Méthode et données
Les différences d’espérance de vie en fonction de l’âge auquel le système de retraite permet de partir avec le
taux plein n’ont jamais été véritablement mesurées. En effet, bien que de nombreuses études et articles de recherche se soient penchés sur les écarts de mortalité entre les Français, ces travaux s’inscrivent généralement dans une démarche d’analyse générale des inégalités sociales. Ils classifient donc les individus selon des critères tels que le niveau de revenu, le diplôme, la catégorie socioprofessionnelle ou le métier.
Or, ces critères ne sont que très imparfaitement corrélés aux âges auxquels les personnes des différentes catégories atteignent le taux plein.
L’auteur a donc estimé, de manière inédite, les espérances de vie différenciées selon les critères précis qui déterminent le taux plein de retraite d’après les règles en vigueur.
Cette estimation s’appuie sur les bases de données statistiques mises à disposition par la DREES, constituées à partir des données administratives dont disposent les caisses de retraite. Elle est menée sur les dernières générations ayant bénéficié de l’âge minimal légal de 60 ans, parties à la retraite juste avant la réforme de 2010.