Rapport IPP n°43 - mai 2023

Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire et de l’aide médicale de l’état

Portes closes de cabinet médical

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Enjeux

La discrimination est illégale mais difficile à détecter
Si le principe de non-discrimination est posé par le code de la santé publique, il n’empêche pas le praticien de pouvoir, dans certaines circonstances qui relèvent d’un cadre juridique précis, refuser des soins. C’est dans cette tension entre le principe de non-discrimination et l’existence de raisons légitimes de refus de soins que peuvent survenir les cas litigieux. Quand des patients se voient refuser un rendez-vous par un praticien au prétexte qu’ils sont bénéficiaires d’une aide, le caractère discriminatoire du refus de soins ne fait aucun doute. Mais la discrimination à l’égard des patients bénéficiaires d’aide peut prendre des formes plus insidieuses, notamment lorsque les praticiens invoquent des motifs légitimes (absence de disponibilité, pathologie non prise en charge, etc.) uniquement à l’égard des patients bénéficiaires d’aide par exemple. Au niveau individuel, il est impossible de savoir si de tels refus constituent une discrimination ou s’ils sont opposés à tous les patients. C’est précisément pour quantifier ce phénomène que la mise en œuvre d’un testing est nécessaire.

Un enjeu de santé publique
Le refus de soins en médecine de ville est problématique tant pour la santé publique que pour l’efficience de la dépense de santé, tout retard dans le recours aux soins étant susceptible d’aggraver la santé du patient et pouvant le conduire à une prise en charge plus lourde et à l’hôpital, donc plus onéreuse pour le système de santé. De manière générale, la discrimination dans l’accès aux soins est susceptible de produire du renoncement aux soins, ce qui est dommageable pour la santé.

Présentation

Cette étude vise à évaluer l’existence de discriminations dans l’accès aux soins des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS) et de l’aide médicale de l’État (AME). L’étude porte spécifiquement sur la médecine de ville auprès de trois spécialités médicales (médecine générale, pédiatrie, ophtalmologie). La discrimination est mesurée à partir de la comparaison des taux et des délais d’obtention d’un rendez-vous médical entre différents profils de patients ou patientes.

Résultats clés

Des difficultés de prises de premiers rendez-vous par téléphone
L’étude montre des difficultés d’accès à un rendez-vous pour tous et toutes : seule la moitié des patients de référence demandant une prise en charge pour un motif sans caractère d’urgence obtiennent un rendez-vous avec un généraliste ou un pédiatre. La proportion de rendez-vous obtenus avec un ophtalmologue est plus élevée (près de 70 %) mais les délais proposés sont souvent importants (60 jours en moyenne après l’appel).

Les chances d’obtenir un rendez-vous médical pour les bénéficiaires de la CSS sont similaires à celles des patients de référence
Les patients bénéficiaires de la CSS obtiennent un rendez-vous médical dans les mêmes proportions que les patients de référence. Ce résultat contraste avec ceux d’études par testing précédentes portant sur l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS. Les bénéficiaires de la CSS font néanmoins face à des refus discriminatoires formulés de façon explicite dans 1 à 1,5 % des cas.

Une discrimination constatée à l’encontre des bénéficiaires de l’AME
Les résultats de l’étude mettent pour la première fois en évidence des discriminations envers les bénéficiaires de l’AME qui, en moyenne, doivent appeler 1,3 fois plus que les patients de référence pour obtenir un rendez-vous médical. Par rapport aux patients de référence, les bénéficiaires de l’AME ont entre 14 et 36 % de chances en moins d’avoir un rendez-vous chez un généraliste, entre 19 et 37 % de chances en moins chez un ophtalmologue et entre 5 et 27 % chez un pédiatre, et ce quels que soient le genre et le secteur d’exercice des praticiens.

Une discrimination envers les bénéficiaires de l’AME observée chez une minorité de médecins mais souvent pratiquée de manière explicite
Dans un contexte marqué par des difficultés d’accès aux soins pour tous et toutes, les patients bénéficiaires de l’AME font l’objet de discriminations, qui constituent un obstacle supplémentaire à l’accès aux soins de ces publics fragiles. Ces discriminations sont le fait d’une minorité de praticiens, mais ont une ampleur non négligeable et sont souvent exprimées de manière explicite : 4 % des demandes de rendez-vous des patients bénéficiaires de l’AME chez un généraliste se soldent par un refus discriminatoire explicite, 7 % des appels pour un rendez-vous chez un pédiatre et 9 % des appels chez un ophtalmologue. Globalement, près d’un refus de rendez-vous sur dix opposé aux bénéficiaires de l’AME est explicitement discriminatoire.

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Autrices

  • Lucie Le Rolland
  • Pauline Mendras
  • Delphine Roy
  • Joyce Sultan Parraud
  • Léa Toulemon

Partenaires

Cette étude a été réalisée à la demande du Défenseur des droits et du ministère de la santé et de la prévention, représenté par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et la Direction de la sécurité sociale (DSS).

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Données et méthodes

Cette étude s’appuie sur un testing téléphonique.

La discrimination est mesurée par les chances d’obtention d’un rendez-vous et les délais observés entre l’appel et la date du rendez-vous proposé. Les patients fictifs se présentent tous et toutes comme des nouveaux patients. Ils invoquent des motifs courants de demande de rendez-vous, qui ont un caractère non urgent. Chaque praticien de l’échantillon a fait l’objet d’une tentative d’appel par trois patients (bénéficiaire de l’AME, de la CSS, patient sans CSS ni AME dit « de référence ») du même sexe.

La base de médecins à appeler a été tirée aléatoirement à partir de l’Annuaire santé Améli parmi les praticiens exerçant en France métropolitaine et exerçant comme salarié ou en libéral, selon la méthode d’échantillonnage par stratification. Dans l’ensemble, 3 086 praticiens ont été joints trois fois, 3 579 ont été appelés par au moins un des trois patients. Plus de 34 000 appels ont été passés entre mars et septembre 2022 par une équipe de 10 personnes.

L’étude fait suite à un premier testing réalisé en 2019 sur les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l’aide au paiement d’une assurance complémentaire santé (ACS), prestations remplacées par la CSS en 2019.

Le testing est une méthodologie couramment utilisée en sciences sociales pour mesurer les discriminations dans différents domaines (dans l’accès à l’emploi, au logement etc.). La mise en place d’un testing est nécessaire car la nature discriminatoire d’un refus est difficile à déterminer au niveau individuel, notamment lorsque des motifs légitimes sont invoqués tels que le fait de ne pas prendre de nouveaux patients ou de ne pas avoir de place disponible. Toutefois, si des refus aux motifs légitimes sont plus fréquemment invoqués auprès de bénéficiaires d’aide sociale qu’aux patients sans aide, alors il y a discrimination.