Citer
Charlot, O., Malherbet, F., & Ménestrier E. (Mars 2025). Stabilité fragmentée : la récurrence de la réembauche et des contrats à durée déterminée en France. Institut des politiques publiques, Note n°113.
Présentation
Après une séparation, une proportion importante de travailleurs finit par être réembauchée par leur ancien employeur. La réembauche désigne ainsi le processus par lequel un salarié, précédemment licencié ou placé en chômage temporairement, retrouve son poste auprès du même employeur.
Les études sur ce phénomène restent rares sur les marchés du travail européens.
De nombreux marchés du travail européens se caractérisent par un dualisme contractuel marqué. Ce phénomène désigne la coexistence de deux régimes de contrats de travail distincts : d’une part, les contrats stables et protégés, généralement à durée indéterminée (CDI), et d’autre part, les contrats précaires et flexibles, souvent à durée déterminée (CDD), engendrant ainsi des inégalités significatives en termes de droits et de sécurité entre les travailleurs. L’objectif de cette étude est d’éclairer le phénomène de réembauche dans le contexte spécifique d’un marché du travail dual, en l’occurrence le marché du travail français.
Résultats clés
Cette note met en lumière la façon dont les réembauches et la prévalence des contrats à durée déterminée engendre une dynamique particulière que les auteurs qualifient de stabilité fragmentée. Cette fragmentation combine une relation durable entre l’entreprise et ses salariés avec une alternance de contrats très courts et de périodes de non-emploi.
- Les réembauches représentent environ 44 % de l’ensemble des embauches en France entre 2012 et 2019.
- Les réembauches et le dualisme contractuel sont intimement liés : près de 93 % concernent des contrats à durée déterminée de courte durée, souvent inférieure à un mois.
- Les réembauches sont largement répandues dans tous les secteurs, pas seulement dans ceux où le recours aux contrats à durée déterminée est moins réglementé.
- Plus d’un tiers des réembauches pourraient contrevenir au délai de carence obligatoire, et près de la moitié pourraient dépasser la limite légale de renouvellements.
- Les réembauches concernent un groupe relativement restreint de travailleurs, dont un peu plus d’un quart subissent cinq réembauches ou plus par le même employeur chaque année. Elles sont également plus fréquentes chez les femmes et les travailleurs plus âgés.
- Les réembauches sont motivées par les besoins volatils mais récurrents des entreprises, découlant de caractéristiques intrinsèques propres à chaque entreprise plutôt qu’à leur secteur.
- Les réembauches dans un marché dual engendrent une stabilité fragmentée — un mélange de relations d’emploi stables grâce à des réembauches récurrentes et à de courtes périodes d’emploi qui intensifient la fragmentation des emplois et la segmentation du marché du travail.
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Méthode et données
Données
Cette étude s’appuie sur un ensemble de données administratives unique : les Déclarations Préalables À l’Embauche (DPAE), couvrant la période de 2012 à 2019 et le champ du secteur privé, hors agriculture et intérim. Ces déclarations obligatoires, que les employeurs doivent soumettre à l’administration avant d’embaucher un salarié, fournissent des informations précises sur le nouvel employé, la nature de son contrat de travail, la date prévue de début du contrat et, le cas échéant, sa durée exacte. Les DPAE permettent ainsi de suivre les flux d’embauches et de réembauches sur une période donnée.
Cependant, ces données présentent une limite importante : elles offrent peu d’informations sur les caractéristiques des travailleurs, se limitant principalement à leur âge et leur sexe. Elles ne comportent notamment aucune indication sur leur niveau d’éducation, leurs qualifications ou leur expérience professionnelle.
Mesure et définition des réembauches
Comme dans la majorité de la littérature, les auteurs se concentrent sur les réembauches auprès du dernier employeur. Leur analyse repose sur une mesure effective de la réembauche, basée sur l’observation exhaustive des contrats de travail en France, contrairement aux études fondées sur les anticipations de rappel au moment du licenciement (voir par exemple Katz and Meyer, 1990).
Ainsi, les auteurs utilisent une mesure ex-post plutôt qu’une mesure ex-ante reposant sur les anticipations des travailleurs. Ces dernières peuvent ne pas se réaliser, tandis que certains travailleurs déclarant ne pas anticiper de réembauche finissent parfois par être rappelés. Par conséquent, la mesure ex-post semble être beaucoup plus précise. De plus, le caractère exhaustif des données administratives confère à cette étdue une puissance statistique suffisante pour caractériser la réembauche de manière plus détaillée que dans la plupart des études existantes.
Auteurs
- Olivier Charlot (professeur à CY Cergy Université)
- Franck Malherbet (professeur à l’ENSAE Paris, chercheur affilié à l’IPP)
- Eloïse Ménestrier (post-doctorante à la DARES)
Étude de référence
Remerciements
Cette note a bénéficié du soutien du programme des Investissements d’Avenir (ANR-11-IDEX-0003/Labex Ecodec/ANR-11-LABX-0047).