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L’impôt sur les superprofits en quête de recettes

Présentation

À l’automne 2022 et à la suite de la crise énergétique du printemps, deux contributions sur les «superprofits», respectivement dans la production d’électricité (la CRIM) et les industries pétrolières (la CES), ont été proposées par le Conseil Européen, votées par le Parlement français, puis mises en œuvre par l’exécutif. Le rendement espéré pour l’année 2022 était initialement de 12,3 milliards d’euros pour la CRIM pour aboutir à des recettes effectives 20 fois moindres, à 625 millions d’euros. L’IPP avait estimé de son côté en décembre 2022 le rendement de la CES comme pouvant atteindre jusqu’à 3 milliards d’euros ; à la suite du programme de stabilité envoyé en avril dernier par le gouvernement à la Commission, qui révélait déjà un rendement arrondi à 100 millions d’euros, les chercheurs de l’IPP ont repris leurs estimations et sont en mesure d’indiquer sur la base des déclarations fiscales des pétroliers rendues accessibles début 2024 que le rendement de la CES est encore moindre et se situe plutôt autour de 69 millions d’euros, soit 40 fois moins que leur prévision initiale.

Laurent Bach, co-responsable du pôle entreprises à l’IPP, documente et questionne le faible rendement final de cet impôt « exceptionnel » dans deux billets de blogs distincts.

Le premier billet de blog, intitulé Une petite histoire d’une contribution plus basse que prévu, revient de manière rétrospective sur les différentes estimations réalisées, les hypothèses formulées et données mobilisées pour réaliser ces estimations et les raisons qui expliquent de tels écarts avec le rendement final.

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Le second billet de blog, intitulé La taxation des rentes est-elle rentable ?, propose, à partir du retour d’expérience ci-dessus, des pistes de réflexion sur les principes qui pourraient à l’avenir gouverner de tels outils fiscaux et leur bonne application.

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Résumé

Le décalage entre l’estimation de recettes et la réalité a une double origine. D’une part, une interprétation faite au printemps 2023 par l’administration des termes d’application de la CES, s’agissant de l’étendue d’utilisation des pertes fiscales passées et du périmètre sectoriel de la CES, a mené à une réduction de 78% de l’assiette de superprofits taxables par rapport à la lecture que nous faisions du texte de la loi de finances pour 2023 publié à l’automne 2022. D’autre part, l’organisation des groupes pétroliers qui approvisionnent les consommateurs français est tellement intégrée au-delà de nos frontières que la part des profits pétroliers européens localisée en France est pratiquement nulle, quand bien même la contribution des consommateurs français au chiffre d’affaires européen de ces entreprises reste très élevée, aboutissant ainsi à un décalage de l’ordre de 0,3 points de PIB pour 2022 entre la réalité des comptes des raffineurs français et les estimations de profitabilité du secteur issues des comptes nationaux. L’article permet par ailleurs d’éliminer des hypothèses alternatives souvent évoquées pour expliquer les prévisions de rendement initialement élevées : effets des prix du pétrole sur la valeur des stocks, évolution exceptionnellement négative des amortissements et provisions, caractère excessivement provisoire des comptes nationaux trimestriels utilisés pour la prévision de l’assiette de profits.

Pour tirer les leçons de ces échecs, il faut bien sûr améliorer la qualité des informations disponibles en temps réel aux législateurs comme aux analystes de l’administration et aux chercheurs. Il faut surtout questionner l’intérêt d’une taxation spécifique des « rentes » quand existe déjà un impôt régulier sur les bénéfices, l’impôt sur les sociétés (IS). Cet impôt même est depuis longtemps traversé par une logique de mise à contribution progressive des actionnaires des entreprises et une logique de partage avec l’Etat de la part des profits qui ne rémunèrent pas un effort des investisseurs, les fameuses « rentes ». Cette confusion des rôles joués par l’IS justifie une clarification qui passerait par la mise en place occasionnelle d’un impôt additionnel sur les rentes exploitées par certaines sociétés.

Pour fonctionner, cet outil fiscal ne peut pas, au contraire de l’IS, reposer uniquement sur les déclarations comptables et devrait être complété par d’autres types d’informations permettant de qualifier la rente plus certainement : prix de vente, d’achat, nature des contrats passés, etc. Compte tenu de l’identité des contribuables potentiels, les risques d’évitement sont par ailleurs plus forts que dans le cas de l’IS, y compris dans un cadre franco-français. Pour limiter ces risques, une attention toute particulière doit être portée aux conditions de déductibilité des pertes ainsi qu’aux critères de définition du périmètre des entreprises ciblées.

Enfin, l’article met en valeur l’intérêt budgétaire qu’il y aurait à s’inspirer de la coordination récente des impôts nationaux sur les sociétés sous l’égide de l’OCDE. Une clé de répartition alternative des bases de superprofits taxables au sein même de l’Union Européenne aurait ainsi été en mesure de faire récupérer par la France des recettes se comptant en milliards plutôt qu’en millions de la part des groupes pétroliers pour 2022.

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Auteur

Laurent Bach est professeur de finance à l’ESSEC, co-responsable du pôle entreprises de l’IPP