Propos recueillis auprès de Nagui Bechichi, chercheur affilié à l’IPP, fondateur de SupTracker
En quelques mots, en quoi consiste SupTracker ?
SupTracker est un outil d’aide à l’orientation qui s’appuie sur les données open data de Parcoursup, la plateforme de préinscription en première année d’études supérieures en France. C’est un projet personnel que nous menons à deux avec Antoine Prévotat, étudiant à l’ENS.
Pour quelles raisons avez-vous développé cette application ?
Depuis l’introduction de Parcoursup en 2018, des efforts considérables ont été réalisés pour améliorer la plateforme. En particulier, les informations disponibles sur le site de Parcoursup se sont enrichies chaque année, ces données étant complétées par mise à disposition en open data de données annuelles sur Parcoursup par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR).
Pourtant, le rapport du Sénat de 2023 a montré que la plateforme Parcoursup, qui regroupe 21 000 formations du supérieur en 2023, est encore aujourd’hui perçue comme stressante par 83 % de ses usagers [Rapport du Sénat, 2023]. Ce n’est plus la quantité d’information, mais la qualité de cette information (clarté, intelligibilité) qui constitue un des grands défis à relever pour la plateforme Parcoursup.
Avec SupTracker, nous proposons une application gratuite de data visualisation, que nous avons développée pour rendre accessible et utile au plus grand nombre l’ensemble très riche de données open data sur Parcoursup.
Qui peut utiliser SupTracker ? Et pour faire quoi ?
Pour la communauté éducative et scientifique, SupTracker permet de consulter, produire et exporter de manière simple et intuitive des statistiques sur mesure. L’outil permet de rechercher de façon simple une ou plusieurs formation(s) parmi les 21 000 formations référencée(s) sur Parcoursup et d’afficher des statistiques publiques issues de 7 sources open data différentes. Les pages affichent par défaut des visualisations simples et accessibles à tous types d’utilisateurs, et peuvent ensuite présenter des informations plus complexes à la demande.
Pour les lycéens, parents d’élèves, enseignants, conseillers d’orientation, SupTracker permet d’évaluer la cohérence du projet d’orientation des étudiants. L’outil donne en effet de nombreuses informations sur le profil des candidats et le degré de sélectivité de chaque formation. En particulier, l’outil offre une première idée objective des chances de succès d’un lycéen ou d’une lycéenne qui envisage de candidater à telle ou telle formation.
D’autres types d’utilisateurs ont salué la flexibilité du moteur de recherche et la simplicité d’usage de SupTracker, ce qui suggère que les objectifs et modalités d’utilisation de l’outil sont en pratique très divers.
Quelle est la place de cet outil face à toutes les ressources sur l’orientation ?
SupTracker est un outil pensé comme une ressource complémentaire aux autres ressources disponibles pour les personnes qui s’interrogent sur l’orientation post-bac, permettant de présenter de façon visuelle des informations qui viennent s’ajouter à celles directement accessibles sur le site de Parcoursup, ainsi que sur les portails des formations proposées sur la plateforme.
Plus besoin de conseillers d’orientation alors ?
Bien sûr que si ! SupTracker vise à informer de la façon la plus claire, objective et complète possible les utilisateurs sur le recrutement des différentes filières du supérieur et des formations présentes sur la plateforme.
Mais SupTracker ne formulera jamais de recommandation, encore moins de conseil. Il y a un enjeu d’accès à l’information dans le parcours d’orientation. De même qu’il est important pour des lycéens ni de sous-estimer ni de se surestimer leur dossier scolaire et leurs chances de réussite, comme le montre une note IPP récente de Camille Terrier. Mais comment construire un projet d’orientation individuel en résonance avec le potentiel et les envies d’un étudiant, cela constitue l’autre volet de la problématique et ne peut passer à mon sens que par de l’écoute et de l’accompagnement … donc de l’humain.
Les conseillers d’orientation et professeurs principaux sont d’ailleurs, pour l’instant, les utilisateurs de SupTracker les plus fréquents.
Comment ce projet personnel est-il né ?
Doctorant en économie de l’éducation à Paris School of Economics, sous la direction de Julien Grenet, je travaille depuis plusieurs années sur les questions d’orientation post-bac en France, et notamment sur l’influence des plateformes centralisées d’admission (Parcoursup, APB) sur l’admission et le parcours des étudiants dans l’enseignement supérieur en France.
Ce projet est né au début de l’été 2022, dans le cadre d’un stage qu’Antoine a effectué au sein de la division Redistribution et politiques sociales (RPS) du département des études (D2E) de l’Insee. L’accessibilité des données open data était particulièrement utile pour réaliser rapidement un petit projet statistique. À la suite de ce stage, nous avons décidé de poursuivre le projet sur notre temps libre, avec pour objectif de le diffuser gratuitement.
En tant qu’économistes statisticiens nous manipulons au quotidien toutes ces données et mesurons le contraste entre cette masse d’informations disponibles et le sentiment fréquent chez les étudiants et leurs parents d’être perdus face au manque d’information ou à l’inverse l’excès d’information !
Ce projet est une tentative de combler ce fossé !
Sur quelles technologies s’appuie SupTracker ?
SupTracker est une application intégralement développée sur R via la librairie Shiny. Les visualisations interactives sont produites à l’aide de trois « wrapper » Javascript : highcharts (graphiques), leaflet (carte), et reactable (tableaux).
Pour l’instant, le serveur est déployé via la version gratuite de Shiny Server, et hébergé sur des machines virtuelles Ubuntu (instances AWS EC2 small).
Quelle partie du projet vous a donné le plus de fil à retordre ?
Le code pour le front office afin que l’outil soit le plus esthétique et intuitif possible. Cela reste une marge de progression d’ailleurs. Cela a été le plus difficile car c’était la première fois que nous nous y confrontions. Nous avons aussi dû apprendre toutes les subtilités du déploiement d’application : on démarrait vraiment de zéro sur cet aspect.
L‘idée de créer ce type d’outils revient souvent dans les discussions et projets de recherche. Quels conseils pourriez-vous donner à celles et ceux qui ont l’envie de se lancer mais ne savent pas forcément par quel bout prendre le sujet ?
Je pense qu’il faut réfléchir rapidement aux besoins auxquels on souhaite répondre par l’outil : une fois que cela est clair, le plus efficace est de développer (ou dessiner) une première maquette, et valider le concept auprès d’utilisateurs extérieurs. Je pense, a posteriori, que le passage d’une maquette à un produit visuellement satisfaisant nécessite dans l’idéal de collaborer avec des data-analysts et/ou informaticiens. De notre côté, nous avons souhaité développer intégralement l’application, pour apprendre mais aussi parce que nous ne bénéficions pas de financements pour réaliser ce projet personnel.
SupTracker sort en version « Beta », qu’est-ce que ça veut dire exactement ?
SupTracker vient de passer en version « Beta » publique : cela veut dire que l’URL est accessible à tous les utilisateurs, afin de recevoir des premiers retours qui permettront d’améliorer l’outil. Ce passage en version « Beta » est aussi un moyen de mesurer l’intérêt suscité par SupTracker, et déterminer ainsi les ressources qui seraient nécessaires pour le maintenir dans la durée. J’invite donc tous les utilisateurs curieux à naviguer sur le site et à nous faire part de leurs remarques et commentaires ! Nous avons déjà reçu plus de 2 000 utilisateurs différents sur la « Beta » de SupTracker, ce qui nous encourage à poursuivre ce projet.
J’en profite également pour remercier la dizaine d’ « alpha-testeurs » que nous avons sollicités en printemps dernier pour concevoir cette version Beta.
Quelles sont les suites que vous comptez donner au projet ?
Nous avons pour objectif de publier la première version de SupTracker en janvier 2024, rapidement après l’ouverture de la plateforme aux candidats de la session 2024 et la publication des données open data de Parcoursup 2023.
Afin de produire un outil transparent, nous souhaitons profiter de cette sortie pour diffuser en open source le code de SupTracker.
En fonction de l’engouement pour le projet et l’arrivée d’éventuels partenaires institutionnels et contributeurs extérieurs, SupTracker sera ensuite maintenu chaque année avec des mises à jour lorsque les nouvelles données open data seront mises à disposition par le ministère de l’Enseignement supérieur.