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Entretien avec Bertrand Garbinti, responsable du pôle fiscalité des ménages de l’IPP

Bertrand Garbinti a pris ses fonctions à l’IPP début janvier 2025, en qualité de responsable du pôle fiscalité des ménages. Près de 6 mois après son arrivée, Bertrand Garbinti revient sur ses motivations et les enjeux associés à la direction de ce pôle « historique » de l’IPP.

Comment cette nouvelle opportunité professionnelle s’est-elle présentée ?

J’ai toujours été passionné par les questions de fiscalité. J’ai commencé à travailler sur ces sujets dès le début de ma thèse et lors de mes postes au département des études économiques de l’Insee et à la Banque de France. Elles occupent aussi une place importante dans mes cours à l’ENSAE. Ce sont des questions essentielles car elles sont au cœur de nombreux enjeux de première importance pour notre société : redistribution, justice sociale et fiscale, financement des politiques publiques… J’ai été sincèrement honoré lorsqu’Antoine Bozio m’a proposé de prendre la responsabilité du pôle fiscalité des ménages : l’IPP est un lieu incroyablement stimulant, qui allie rigueur technique et souci de répondre aux questions concrètes du débat public. Prendre la responsabilité de ce pôle, c’est travailler avec une équipe à l’expertise reconnue, ce qui est une véritable source de motivation ! C’est aussi une démarche naturelle d’un point de vue institutionnel qui poursuit la tradition de lien fort qui unit le GENES (le regroupement des écoles d’ingénieurs que sont l’ENSAI et l’ENSAE) avec l’IPP.

Quelle a été la plus grande surprise en découvrant l’IPP « de l’intérieur » ?

C’est vrai que je connaissais déjà l’IPP en tant que chercheur affilié notamment mais lors de mon arrivée en janvier dernier, j’ai encore plus réalisé à quel point les chercheurs de l’IPP forment un collectif de travail et d’entraide au quotidien. L’IPP s’est beaucoup développé au fil des années et compte désormais dix pôles, ce qui est conséquent. Malgré cette taille, il y règne une ambiance de collaboration et un fonctionnement transversal qui permet une circulation continue et efficace des idées et des compétences. Les chercheurs échangent très régulièrement sur les méthodes, les outils, les codes, les procédures administratives, etc.

Cette transversalité tient aussi au fait que les différents pôles n’ont pas des objets totalement cloisonnés. Par exemple, lorsqu’on parle des politiques fiscales, la distinction entre fiscalité des ménages et des entreprises est poreuse. De la même façon, la fiscalité environnementale concerne à la fois les ménages et les entreprises. Il ne serait ni possible ni souhaitable de tracer des lignes de séparation imperméables entre les sujets sur lesquels les différents pôles travaillent.

Le pôle fiscalité des ménages a la particularité de réaliser des projets de recherche comme tous les autres pôles de l’IPP mais aussi de développer au quotidien le modèle de micro-simulation TAXIPP : comment ces deux missions s’articulent-elles ?

En effet, le pôle de fiscalité des ménages réalise des études et, en parallèle, maintient et améliore le modèle TAXIPP. Ce modèle a pour but de simuler l’ensemble des dispositifs socio-fiscaux, tels que les transferts monétaires (allocations logement, familiales, minima sociaux, …) et les impôts, prélèvements sociaux et cotisations sociales sur le revenu, ou encore ceux qui portent sur la consommation et le patrimoine des ménages français. C’est donc un outil essentiel pour évaluer les effets des politiques sociales et fiscales, que ce soit en termes de financement des dépenses publiques ou d’impact sur les inégalités économiques ou la pauvreté. L’utilisation et le développement au quotidien de ce modèle de micro-simulation exige une connaissance approfondie et actualisée en permanence du système social et fiscal, ce qui nourrit la réflexion sur les effets et la conception des politiques sociales et fiscales : Qui concernent-elles ? Quels objectifs servent-elles ? Sont-elles efficaces ? Quels sont leurs effets redistributifs ? Quels sont les arbitrages efficacité/équité ? Ont-elles un impact sur le comportement des ménages ou des entreprises ? Peut-on améliorer la conception de ces politiques ? Cette liste de questions n’est évidemment pas exhaustive mais elle témoigne de l’interaction entre les sujets sur lesquels le pôle produit des études et l’intérêt de développer un outil de micro-simulation aussi ambitieux que TAXIPP.

L’adoption du PLF 2025 a été difficile et mouvementée. L’exercice 2026 s’annonce tout aussi difficile – si ce n’est plus – avec un enjeu de redressement des finances publiques réaffirmé conjugué à une hausse programmée des dépenses militaires. Quel regard un économiste spécialiste des questions fiscales porte-t-il sur ces débats ?

Ces périodes de débat mettent en lumière l’importance de l’évaluation des réformes et la nécessité d’anticiper, autant que possible, les conséquences des mesures proposées. L’absence d’une large majorité à l’Assemblée renforce sans doute la tension qui existe dans le choix des objectifs économiques entre les différents acteurs qui doivent s’accorder autour d’un compromis.
Dans ce contexte, les économistes ont un rôle-clé : mettre en évidence les arbitrages que chaque mesure implique, qu’il s’agisse par exemple des coûts, des gains ou des effets redistributifs. Il est essentiel de fournir aux citoyens et aux décideurs politiques des analyses chiffrées et rigoureuses pour éclairer leurs choix.

Évidemment, toute prévision comporte une part d’incertitude irréductible. Il est difficile d’anticiper avec certitude les réactions des acteurs économiques, et des erreurs sont inévitables. Mais ces limites ne doivent pas décourager les efforts de chiffrage. Elles nous poussent au contraire à améliorer nos modèles et méthodes, pour mieux comprendre et anticiper les dynamiques économiques. C’est aussi une incitation à développer des études académiques pour évaluer a posteriori les réactions des acteurs économiques et enrichir de futures prévisions.

L’IPP a cette double vocation de produire des analyses de grande rigueur et technicité et de les porter avec le plus de pédagogie et simplicité possible dans le débat public. Comment concilier ces deux objectifs parfois opposés ?

Oui, rendre accessibles des analyses rigoureuses est un impératif pédagogique exigeant mais nécessaire pour nourrir le débat public. C’est particulièrement vrai pour la fiscalité des ménages, qui concerne directement tous les citoyens et alimente de nombreux débats économiques et politiques. Le pôle fiscalité des ménages et, plus largement, l’IPP publient régulièrement des études et des notes synthétiques visant à démocratiser les résultats des études et à alimenter la réflexion.

La dernière note du pôle relative à la question du gel du barème de l’impôt sur le revenu me semble un très bon exemple d’éclairage apporté par les économistes du pôle au débat public. En novembre 2023, lors de la traditionnelle conférence budgétaire annuelle de l’IPP où nous proposons une analyse du projet de loi de finances en cours d’examen au Parlement, les membres du pôle s’étaient intéressés de plus près à cette question. ֤À cette époque, l’inflation était élevée et l’indexation du barème sur l’inflation, qui est une pratique assez courante, était présentée comme une mesure phare du gouvernement. L’étude de l’IPP a alors rappelé que le rythme d’augmentation des revenus n’est pas nécessairement le même que celui de l’inflation et que l’indexation sur l’inflation ne neutralise pas complètement les possibilités de hausse (ou de baisse) d’impôts pour les ménages. Lorsqu’un an et quelques mois plus tard, le gouvernement Barnier a été censuré et le projet de loi de finances qu’il portait pour 2025 rejeté, la mesure d’indexation du barème sur l’inflation a été, de fait, suspendue. Aujourd’hui, un gel provisoire de l’indexation du barème est à nouveau au cœur du débat politique et du questionnement des citoyens sur le risque réel ou non de voir leurs impôts subitement et mécaniquement augmenter. Et les éléments de cette note conservent leur pertinence pour aider à mieux comprendre les enjeux de cette indexation ou de son gel.

Au-delà de la pédagogie, je pense qu’il est important de souligner un autre impératif : la transparence dans les méthodes employées. Il s’agit d’un objectif fondamental pour renforcer la crédibilité des démarches de recherche et faciliter les échanges sur les choix méthodologiques effectués. C’est dans cet esprit que le code du modèle TAXIPP est en libre accès sur le gitlab de l’IPP depuis mars 2023, ce qui permet à toutes les personnes (économistes ou non) intéressées de le consulter et de l’utiliser. L’IPP publie aussi les différents barèmes socio-fiscaux, et le pôle fiscalité des ménages est aussi activement impliqué dans l’association OpenFisca dont le site internet permet de calculer en ligne un grand nombre de prestations sociales et d’impôts. Ces objectifs de pédagogie, de rigueur dans les analyses et les méthodes, et de transparence sont, et resteront, au cœur de notre démarche pour proposer des analyses académiques approfondies, pertinentes et crédibles pour éclairer les grands choix budgétaires et sociétaux.

La fiscalité du patrimoine et des transmissions de patrimoine occupe une place importante dans tes travaux. Elle est abordée avec beaucoup de prudence politiquement, en raison de son impopularité dans l’opinion. Comment l’expliquer ?

L’impopularité de la fiscalité des transmissions (donations et successions) me semble en grande partie liée à sa complexité. Les règles varient fortement selon le lien de parenté, avec des abattements et des taux différents selon si l’on transmet par exemple à son enfant, à son petit-enfant, ou à sa nièce et son neveu, etc. Il existe aussi un délai au-delà duquel les donations effectuées ne sont plus comptées lors de la succession, et certains actifs bénéficient de régimes spécifiques, comme l’assurance-vie ou les biens professionnels. Si l’on rajoute à cela (sans que la liste ne soit exhaustive) que la fiscalité du patrimoine laissé au conjoint lors du décès dépend du statut matrimonial du couple, on est face à un ensemble de dispositifs particulièrement foisonnant !

C’est une complexité qui entraîne logiquement une méconnaissance voire une défiance face à cette taxation. Plusieurs enquêtes ont montré que les citoyens surestiment très fortement la taxation réelle des donations et successions. Et des études ont évalué que si l’on fournit des informations factuelles sur la taxation des transmissions à des personnes enquêtées, leur soutien à ce type de taxation augmente. Concrètement, en France, chaque parent peut transmettre 100 000 € nets d’impôt à chacun de ses enfants tous les 15 ans. Un couple avec deux enfants peut donc transmettre plus de 400 000 € de patrimoine sans payer d’impôt si la succession est anticipée.

Dans les faits, on est très loin d’un impôt qui concerne la majorité des Français ou qui taxe la majorité des transmissions à des taux très élevés. Ce sont surtout les transmissions qui ne concernent pas les enfants, les petits-enfants ou les parents, qui sont sujettes à des taux élevés. Par exemple une personne sans enfant qui souhaite transmettre ses biens à ses neveux ou nièces fera face à des taux d’imposition bien plus élevés (avec des taux supérieurs à 50%) que si elle le transmettait à ses enfants. Peut-être que cette manière dont l’Etat décide des liens de parenté qui doivent être plus ou moins taxés est une autre source au sentiment d’injustice associé à cette taxation.

Enfin, on oublie souvent que le soutien à un impôt dépend du contexte dans lequel il est présenté. Aujourd’hui, les enquêtes mesurent ce soutien de manière isolée sans le relier à d’autres impôts dont s’acquittent les citoyens. Sans prendre position sur la manière optimale de taxer les héritages, il serait tout de même intéressant de mesurer le soutien à cet impôt dans une logique d’arbitrage : par exemple, accepteriez-vous une réforme de l’impôt sur les transmissions (associée à une plus grande progressivité), en échange d’une baisse des impôts sur les revenus du travail ?

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