Propos recueillis auprès d’Amélie Carrère, Économiste au pôle Santé-autonomie de l’IPP, autrice du rapport n°45 intitulé « L’accessibilité potentielle localisée à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées : approche territoriale »
Amélie Carrère revient en détails sur la méthodologie déployée dans le cadre du projet “Prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées : estimer les besoins locaux” mené en partenariat avec la Drees qui a conduit à la publication du rapport IPP n°45.
Pourquoi avoir créé un nouvel indicateur pour mesurer l’accessibilité de cette offre de soins ?
Tout d’abord, il n’existe pas tant d’indicateurs que cela ! Le besoin d’identifier précisément le nombre de personnes pouvant intervenir auprès des personnes âgées est pourtant réel et renforcé par l’incitation relativement récente des pouvoirs publics à prendre le “virage domiciliaire” dans la prise en charge des personnes en perte d’autonomie.
Les indicateurs disponibles jusqu’à maintenant calculent de manière séparée la disponibilité d’une prise en charge à domicile et en établissement (DD 88 DREES de 2021) ou bien sont centrés sur l’offre médicale (cf. APL DREES/Irdes). Ils ne sont pas conçus comme des indicateurs globaux de l’offre de prise en charge de la perte d’autonomie.
Pour ce nouvel indicateur, nous avons inclus des dispositifs supplémentaires, qui se développent et participent de façon importante à l’accompagnement des personnes âgées tels que les résidences-autonomie, les soins de suite et de réadaptation, l’hospitalisation à domicile, les services de soins infirmiers à domicile…
Deuxièmement, les indicateurs habituels de taux d’encadrement ou taux d’équipement sur le secteur de l’aide aux personnes âgées (diffusés par exemple par la CNSA) sont calculés au niveau départemental et ne permettent pas d’avoir une image suffisamment fine de la répartition géographique de l’offre de prise en charge, et de son lien avec la demande potentielle. Ce nouvel indicateur permet d’identifier les zones plus ou moins bien dotées relativement à la population et de toucher du doigt la question de l’adéquation ou de la non adéquation de l’offre (multiple) aux besoins.
Comment avez-vous construit cet indicateur et en quoi permet-il de mesurer l’accessibilité “réelle” de l’offre de prise en charge de la perte d’autonomie ?
L’indicateur correspond à des taux d’encadrement au niveau communal. Il s’agit de mettre en relation le nombre total de professionnelles à moins de 60 minutes avec la demande potentielle (individus de 60 ans ou plus) – en pondérant plus fortement l’offre plus proche. Cela est réalisé pour chaque commune mais le zonage à 60 minutes permet de faire abstraction de la frontière administrative. Cela signifie qu’un établissement, un service ou un professionnel situé dans une commune donnée “déverse” son offre sur les autres communes qui peuvent n’avoir aucune offre. A l’inverse, les personnes qui résident dans des communes sans offre ont quand même potentiellement accès à une offre. Si on calculait un taux d’équipement par commune sans faire ce travail de prise en compte des communes alentour, on aurait de nombreuses communes avec des taux d’équipement nuls (près de 10 000 communes sur les 36 000 n’ont aucune offre localisée dans leur commune). On cherche donc à retranscrire au mieux la véritable accessibilité (parce que les individus fort heureusement se déplacent en dehors de leur commune) tout en gardant une analyse fine au niveau territorial.
La seconde spécificité de cet indicateur est qu’il se restreint de manière volontaire à la prise en charge de la perte d’autonomie, mais il inclut davantage de types de prise en charge que précédemment. Celle-ci correspond à l’aide dans les activités de la vie quotidienne. C’est pour cette raison que nous excluons de l’indicateur les professionnels de santé, hormis celles et ceux qui travaillent dans les SSIAD, la HAD et les SSR. Il n’inclut pas non plus certaines personnes travaillant dans les services et établissements médico-sociaux (personnel administratif et d’encadrement par exemple) et pourtant nécessaires au bon fonctionnement de ces structures. En effet, nous avons souhaité avoir une mesure du “seul” vivier de professionnelles pour prendre en charge la perte d’autonomie.
À quoi êtes-vous particulièrement vigilante quand vous construisez ainsi un nouvel indicateur ?
À sa fiabilité. Ces indicateurs demandent des techniques de programmation complexes dont les temps de calculs sont longs. Il n’est ainsi pas possible de vérifier commune par commune (36 000 en France métropolitaine) si l’indicateur calculé est correct. Plusieurs vérifications sont toutefois faites pour s’assurer que la mise en œuvre de l’indicateur est correcte : nous procédons par exemple à des vérifications sur certaines communes prises au hasard et sur les estimations extrêmes. Puis une vérification plus globale afin d’identifier si les tendances mises en évidence concordent avec les constats déjà existants.
L’accessibilité potentielle localisée est un indicateur déjà utilisé dans le secteur médical : y-a-t’il une spécificité de l’indicateur élaboré pour mesurer l’offre de prise en charge de la perte d’autonomie ou s’agit-il d’un indicateur construit à l’identique adossé à d’autres données ?
La méthode est très similaire à celle utilisée dans le secteur médical. La différence majeure est qu’on utilise une fonction de durée décroissante continue au sein de la zone de 60 minutes. Cela permet d’éviter les effets de seuil lorsqu’on passe de 10 à 10,1 minutes par exemple et de lisser l’accessibilité géographique. Deux fonctions de durée décroissantes sont calculées : une à domicile (car ce sont les professionnelles qui se déplacent au domicile des personnes âgées) et une en établissement (car ce sont les personnes âgées qui s’y déplacent, et les personnes qui leur rendent visite).
Selon vous, quels constats ou tendances votre rapport vient-il confirmer ou compléter ?
Le premier constat que ce travail vient confirmer est celui du manque de professionnelles au niveau national pour prendre en charge la perte d’autonomie. Dans notre rapport, les besoins de prise en charge seraient compris entre 720 000 et plus d’un million d’ETP en France métropolitaine. Or, nous estimons que 515 000 professionnelles en ETP interviennent actuellement auprès des personnes âgées, soit un manque de plusieurs centaines de milliers d’ETP. Ce manque était déjà évoqué par les rapports El Khomry (2019) ou Bonnell et Ruffin (2020), il n’est effectivement pas nouveau mais il reste assez alarmant par son ampleur. C’est d’autant plus problématique que les besoins, renforcés par la stratégie souhaitée du virage domiciliaire, seront amenés à progresser.
Le second enseignement est la persistance de la spécialisation des territoires. Nous savions déjà (Ramos-Gorand 2020) que certains territoires pouvaient privilégier l’offre en établissement (Bretagne et Pays-de-la-Loire), l’offre sanitaire (région PACA) ou l’offre médico-sociale (Nord). Ces tendances de 2011 sont confirmées en 2019 indiquant qu’aucun virage domiciliaire n’est entamé dans les territoires qui sont historiquement les plus spécialisés dans la prise en charge en établissement. Le virage domiciliaire pourrait toutefois être enclenché puisque les professionnelles de la prise en charge de la perte d’autonomie sont accessibles à moins de 60 minutes dans la plupart des communes. En effet, l’avantage de l’indicateur est qu’il cumule les professionnelles à domicile et en établissement permettant d’identifier les professionnelles disponibles en établissement et qui pourraient potentiellement basculer dans la prise en charge à domicile. Seuls les départements autour de l’Île-de-France (Oise, Seine-Maritime, Eure, Orne, Eure et Loir, Sarthe, Loir et Cher), ainsi que les régions montagneuses (Alpes, Pyrénées, Vosges, Jura), la Meurthe-et-Moselle et la Moselle apparaissent moins bien dotés en offre globale (domicile et établissement cumulés) que les autres régions.
Ensuite, la spécialisation selon le statut juridique n’avait jamais été regardée aussi finement. On remarque de véritables choix politiques sur certains territoires où l’offre à domicile et en établissement issue du secteur public est quasiment inexistante. C’est le cas du Pas-de-Calais. A l’inverse, les Landes se distinguent par une offre à domicile et en établissement essentiellement issue du secteur public.
Quelles limites et quelles suites pour ces travaux ?
Les limites sont hélas nombreuses … mais le point positif est que ce travail initial mené par l’IPP va servir de point d’appui à d’autres projets et d’autres équipes, à l’IPP mais pas uniquement.
Tout d’abord, pour des raisons de disponibilité des données, l’indicateur n’a pas été calculé sur les départements et régions d’outre-mer; et d’autre part, pour la même raison, la demande potentielle est estimée sur la totalité de la population de 60 ans et plus, et non sur les plus âgés uniquement, ou sur les seules personnes en perte d’autonomie.
Or, l’autonomie se détériore avec l’avancée en âge et d’autres facteurs socio-économiques et familiaux. Un travail a été débuté dans ce rapport pour proposer une méthode pour mesurer la demande potentielle de façon plus juste. La Drees s’occupera de sa mise en œuvre.
Ensuite, l’accessibilité mesurée est ici purement géographique, territoriale. On ne regarde pas la question, centrale, de l’accessibilité financière: un territoire peut être très bien doté en offre mais si celle-ci est trop chère (malgré les aides) pour que les personnes y recourent, elle reste du registre du potentiel et non du réellement accessible. Ces travaux sont poursuivis pour l’instant sur la partie établissement avec l’équipe EQUIDEC qui est un consortium de chercheur.euses dont fait partie l’IPP.
Par ailleurs, d’un point de vue plus mathématique, toute l’offre et la demande potentielle sont localisées au centre de la commune et non pas à la localisation exacte de l’individu ou de la structure. Principalement, pour réduire des temps de calculs déjà très longs. Cela implique que le temps de trajet entre des individus et un établissement peut être inférieur à 60 minutes mais on considérera que celui-ci ne leur est pas accessible si le centre de leur commune est à plus de 60 minutes du centre de la commune de cet établissement. A l’inverse le temps de trajet entre des individus et un établissement peut être supérieur à 60 minutes mais on considérera qu’ils ont accès à cet établissement si le centre de la commune de ces individus est à moins de 60 minutes du centre de la commune de l’établissement. Certaines communes étant assez “étalées”, cet écart entre notre mesure et la distance réelle n’est pas sans conséquence, dans les communes rurales notamment.
Enfin,cet indicateur additionne toutes les professionnelles qui interviennent auprès des personnes âgées. Or une personne âgée dépendante a besoin d’un “package” d’accompagnement : des aides à domicile, des auxiliaires de vie, des infirmières. etc., qui sont complémentaires et non substituables. C’est donc une simplification que de sommer toutes ces professionnelles, puisqu’elles ne sont pas, au quotidien, interchangeables.
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